15 / 07 / 2021

Notice bibliographique

Christophe ZAMORD, Les Témoins de Jéhovah : un mouvement religieux aux caractéristiques d'un mouvement social, Études caribéennes, 2014, https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/7154

ISBN : 978-2-7071-5897-0

 

Philippe BARBEY

 

Référence électronique

Philippe BARBEY, « Les Témoins de Jéhovah : un mouvement religieux aux caractéristiques d'un mouvement social », Archives de Focus sociologique de sciences sociales des religions [En ligne], 15 juillet 2021, mis en ligne le 15 juillet 2021. URL : https://focussociologique.jimdofree.com/chercheurs-occasionnels/christophe-zamord-2014/

© Archives de Focus sociologique

 

Christophe Zamord veut démonter que les le mouvement religieux des Témoins de Jéhovah est aussi un mouvement social. Bon. Zamord commence par affirmer que les Témoins de Jéhovah sont un mouvement sectaire. On commence mal. Les sciences religieuses ne peuvent pas prendre partie. D’emblée, Zamord reprend les thèses à l'emporte-pièce des antisectes. Et puis, il revient sur son affirmation première, les Témoins de Jéhovah sont un mouvement religieux. Il cite Régis Dericquebourg dans ce sens. Mais, pour l'auteur, c'est d’abord un mouvement social. On est tout-de-suite un peu perdu. Secte, religion, mouvement social ? Les Témoins de Jéhovah qu'ils citent sont pour la plupart des ex-Témoins de Jéhovah. Il fait régulièrement référence à Info-secte, une organisation notoirement anti-Témoins de Jéhovah. Il cite même le Rapport n° 2468 Les sectes en France, de la commission d’enquête parlementaire sur les sectes. Ce rapport a été clairement invalidé par le Gouvernement français et critiqué très vertement par les sociologues français. La France a même été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour avoir stigmatisé les Témoins de Jéhovah. S'ensuit un long développement sensé démontrer que les Témoins de Jéhovah sont un mouvement social.

 

L'auteur, français, francophone et résident d'un département français, préfère se tourner vers les États-Unis. Pourquoi ? "Le choix des pays a été effectué ainsi : les États-Unis, tout d’abord, me semblaient incontournables, puisqu’il s’agit du pays d’origine du mouvement des Étudiants de la Bible qui sont, par la suite, devenus les Témoins de Jéhovah, en 1931." (p.7 de sa thèse). Mais, Zamord veut étudier ce mouvement comme mouvement social. Or aujourd'hui, il n'y a que seulement 15% des Témoins de Jéhovah aux États-Unis.

 

Zamord insiste régulièrement sur sa neutralité. On peut vraiment, s'interroger sur sa démarche scientifique dans la mesure où il admet avoir beaucoup utilisé les témoignages d'ex-Témoins de Jéhovah pour comprendre le mouvement qu'ils ont quitté : "Les témoignages individuels publiés en librairie ou en ligne m’ont, toutefois, servi à avoir une meilleure idée de certains aspects de la vie des Témoins et de leurs contradictions." Peut-on vraiment se fier à ce genre de témoignage, de la part de gens qui, pour la plupart, cherchent à régler des comptes avec leurs anciens amis ? Aucun sociologue français n'a voulu rentrer dans cette démarche plus que discutable au plan de la recherche universitaire.

 

L'auteur dresse ensuite un long catalogue de citations sur les différents caractères définissant une religion : Karl Marx, Durkheim, Max Weber, Troeltsch, Brian Wilson, Stark, Bainbridge, Iannaccone, Jean Séguy,  (pp. 9-29 de sa thèse). Il en arrive enfin à des sociologues français spécialisés dans les sciences des religions, et toujours vivants. A propos de Régis Dericquebourg, spécialiste français des Témoins de Jéhovah et le premier à leur avoir consacré une thèse dès 1979, il déclare que cet auteur "mettait l’accent sur le caractère sectaire du groupe" (p.30). Or, Régis Dericquebourg s'est attaché à démonter exactement l'inverse. Pour lui, les Témoins de Jéhovah sont clairement une dénomination chrétienne.

 

Sur mes recherches, Zamord commente : "L’approche de Barbey se veut compréhensive. Il montre une certaine empathie envers le mouvement, qui pourrait donner l’impression qu’il dresse un éloge de ce groupe religieux. Cela montre la difficulté de rester neutre et objectif sans sembler prendre parti ou au contraire critiquer négativement l’objet de son étude en mettant en avant son opinion personnelle ou en montrant ce qui pourrait être interprété comme une forme d’admiration ou au contraire un commentaire à charge"(p.33). Zamord prend clairement parti contre la sociologie compréhensive de Max Weber en écartant d’emblée mes travaux dont, par ailleurs, il s'inspire largement mais sans les citer, ce qui n'est absolument pas déontologique. Et puis, il poursuit son catalogue en survolant James Penton, Bernard Blandre, Ryan Cragun, Ronald Lawson, et nous voilà à la page 38 de cette liste à la Prévert.

 

Dans son développement de thèse, Zamord revient sur la biographie de Charles Russell en insistant sur les témoignages de ses détracteurs, les controverses et les schismes, l'aspect 'américain' des Témoins de Jéhovah, la "propagande", l'excommunication, les règles de vie, et tous les arguments éculés repris sur les sites des antisectes à propos des Témoins de Jéhovah. On peut à bon droit s'interroger sur le "commentaire à charge " de Christophe Zamord sur les Témoins de Jéhovah. Et Zamord en rajoute encore dans la veine grossière des antisectes : pédophilie, scandales financiers. A ce sujet, Zamord parle de "l'opulence des dirigeants". La ficelle est vraiment trop grosse. N'importe quel sociologue spécialisé sait que Russell est mort complètement ruiné pour avoir consacré toutes ses ressources financières à son œuvre religieuse.

 

Décidément, tout dans cette thèse sent le témoignage à charge. On peut se demander si Zamord n'a pas rédigé ce document pour les antisectes eux-mêmes. A la fin, cette thèse n'est plus qu'une caricature : place des femmes, homosexualité, commission d’enquête parlementaire, UNADFI, transfusions sanguines, neutralité politique et tout à l'avenant, le tout entrecoupé de courbes et de graphiques cherchant à démontrer le tassement des effectifs et l’essoufflement du mouvement. Les Témoins font partie des mouvements chrétiens les plus dynamiques dans le monde avec le protestantisme évangélique.

 

Après avoir fait un détour par la Guadeloupe, la Barbade et les États-Unis, Zamord rappelle quand même que la Guadeloupe est un département français. Il oublie de rappeler que, comme n'importe quel département, la Guadeloupe est soumise aux lois de la République concernant la séparation des Églises et de l’État, et qu'à ce titre, ses institutions, y compris l'Université, doivent rester neutres sur le plan religieux. Les systèmes étasunien et français étant si différents, comment Zamord peut-il opérer une telle comparaison ? Comment comparer la Guadeloupe (400.000 habitants / 8.300 Témoins de Jéhovah / 1 pour 50 habitants, l'une des proportions les plus importantes au monde) avec la Barbade (287.000 habitants / 2400 Témoins de Jéhovah / 1 pour 122) et les États-Unis (331.000.000 d'habitants / 1.243.000 Témoins de Jéhovah / 1 pour 273) ?

 

Christophe Zamord a soutenu sa thèse le 25 novembre 2019 [http://www.theses.fr/2019ANTI0442] dans le cadre de l’École doctorale Milieu insulaire tropical : dynamiques de développement, sociétés, patrimoine et culture dans l'espace Caraïbes-Amériques (Pointe-à Pitre), en partenariat avec le Centre de recherches interdisciplinaires en lettres, langues, arts et sciences humaines (laboratoire Schoelcher, Martinique). Rien dans le domaine de la recherche des sciences des religions ou de la sociologie religieuse.

 

Son travail rompt singulièrement avec l’École française de recherche en sciences de religions. Zamord préfère citer des sociologues étasuniens tels que Ryan Cragun, Ronald Lawson, Rodney Stark ou Lawrence Iannacone. Aucun de ces sociologues n'est une référence pour les chercheurs français, y compris les plus éminents comme Jean Baubérot ou Régis Dericquebourg, ce dernier étant pourtant spécialisé dans le sujet abordé par cette thèse. Et où est aujourd'hui Christophe Zamord ?