Colloque international

organisé par la Faculté de droit et de science politique -

UFR de Philosophie de Rennes, le Centre d'études et de recherches autour de la démocratie - Laboratoire de philosophie des normes, l'Institut Européen en Sciences des Religions - IESR

les vendredi 27 et samedi 28 mai 2005, Amphi II - Faculté de Droit et de Science Politique,

9 rue Jean Macé - CS 54203 - 35042 Rennes cedex 

 

Les religions face à la laïcité 

 

Comité organisateur :

 Philippe PORTIER, Jean BAUDOUIN, Jacqueline LAGREE, professeurs à l'Université de Rennes 1

 

INTERVENANTS

Les acteurs religieux face au politique : l'expression des demande religieuses

Présidence : Philippe Bénéton, professeur de science politique - Rennes 1

Ali Ben Makhlouf, professeur de philosophie - Nice-Sofia Antipolis

Raphaël Draï, professeur de science politique - Aix-Marseille

Jacques Rillet, maître de conférences en science politique - Rouen

Ghyslain Waterlot, maître de conférences en philosophie - Grenoble

Jacqueline Lagrée, professeure de philosophie - Rennes 1

 

La redéfinition de la laïcité

Présidence : Émile Poulat, directeur d'études - EHESS Paris Sorbonne

Jean-Paul Willaime, directeur d'études - EPHE Paris Sorbonne

Micheline Milot, professeure de sociologie - Québec Montréal Canada

Vincent Goossaert, chargé de recherches - GSRL CNRS Paris

Jean-Pierre Bastian, professeur de sociologie, Marc Bloch Strasbourg

 

Le politique face aux acteurs religieux : le traitement des demandes religieuses

Présidence : Claude Langlois, directeur d'études, EPHE Paris Sorbonne

Jean Baubérot, directeur d'études, EPHE Paris Sorbonne

James Ceaser, professeur de science politique, Université de Virginie, USA

Adam Jamroz, Cour constitutionnelle, Pologne

Ilan Greilsammer, professeur de science politique, Université de Bar-Ilan, israêl

Ali Vahit Turhan, professeur de science politique, Université de Marmara, Turquie

 

Régulations extra-occidentales

Présidence : Jean Baudouin, professeur de science politique, Rennes 1

Kathy Rousselet, chargée de recherches, CERI CNRS Paris

Max-Jean Zins, directeur de recherches, CERI CNRS Paris

Gilles Kepel, professeur de science politique, IEP Paris

Daniel Bourmaud, professeur de science politique, Université de Pau

Jorge Precht, professeur de droit public, Université pontificale de Santiago, Chili

 

COMPTE-RENDU

Jean Baubérot, directeur d’études à l’EPHE (Sorbonne, Paris), veut tracer le schéma de quelques enjeux (4) en lien avec le centenaire de la loi de 1905. Il y a eu beaucoup de colloques « confidentiels » dont celui organisé par l’Académie des Sciences Morales et Politiques, un anniversaire « très cadré » sous les hospices de Jean-Pierre Raffarin. Ce sera certainement aussi le cas de celui prévu par Jacques Chirac le 5 décembre 2005. Il y a eu aussi beaucoup de colloques dans les régions mais globalement on a constaté peu de lisibilité sociale. 

1) Beaucoup de français ne connaissent pas cette loi de 1905. La CNAL a fait un sondage au printemps 2005 : 40 % seulement la connaissaient. Il a rencontré un jeune journaliste de l’ECHO du centre en Limousin, il ne savait rien sur la séparation.

Quel public cela touche-t-il ?

2) Ceux qui parlent du « petit père Combe » comme l’auteur de cette loi se trompent. Combe n’était plus au pouvoir au moment de l’adoption du texte. D’ailleurs le projet Combe était très différent. Ce qu’on retient en général c’est l’article 2 et rien d’autre. « Reconnaît » ne veut pas dire « méconnaît ». Parler de la religion à la télévision n’est pas une atteinte à la laïcité. Quant je suis pour des aumôneries musulmanes dans les lycées, je suis pris à partie par l’Éducation Nationale. Hors, la suite du texte de loi prévoit les aumôneries.

En 2006, aurons-nous une vision plus globale, plus juste ? Beaucoup ne savent pas qu’ils ne savent pas.

3) Ceux qui font de Combe le bouc émissaire, un borné de la laïcité font erreur. Combe a joué un rôle déclencheur, il a été prudent. La séparation a tourné le dos au combisme. Entre 1899 et 1901, l’exceptionnalisation des congrégations a déclenché la « République en danger ». Chaque mesure provoquant des résistances, alors on considérait que « le danger » augmentait et on provoquait des mesures encore plus dures et des résistances encore plus fortes et donc un danger supposé encore plus grand… Cela a abouti à l’interdiction d’enseigner au congréganistes et leur sécularisation.  On a voulu ensuite obliger les congréganistes à partir ailleurs, à disparaître. C’est Clemenceau qui a arrêté ce processus. En 1903, le congrès radical veut monopoliser l’enseignement public et même épurer l’enseignement public des « cléricaux latents ». C’est l’engrenage, la virtualité dangereuse du combisme. Briand demande qu’on garde son sang-froid. Il préfère parler de notion de loyauté. La République se met elle-même en danger en prenant des mesures répressives.

Aujourd’hui, des mouvements voudraient encore mettre en danger la République par une politique néo-combiste et une laïcité à géométrie variable.

4) Est-ce que la loi de 1905 fut une loi républicaine ? Jean Jaurès a transmis une légende dorée de la loi de 1905. Ferdinand Buisson est le président de la commission du 21 avril au 15 juin 1905. L’article 17 (ou 19) porte sur la constitution des associations religieuses. Il reprend le cadre de 1791. Les citoyens sont libres de s’associer (1901).  Briand veut une loi ‘acceptable’ par l’Église catholique. Il veut des garanties pour l’État, pour l’Église pour les « communautés de fidèles ». Il emprunte au vocabulaire catholique et peu au vocabulaire républicain. C’est un pacte laïc dans un souci d’acceptabilité. Ce qui n’empêche pas le pape de refuser cette loi. D’ou les lois suivantes de 1907-1908 et 1923-1924 (diocésaines).

Un débat est ouvert sur les principes républicains…

 

James Ceaser, professeur de science politique à l’Université de Virginie (USA), revient sur Weber et l’Éthique protestante, la désacralisation de la société, le ‘désenchantement’ du monde. Le processus de 1905 diminue l’influence de l’Église et augmente la sécularisation. C’est la théorie de l’histoire selon laquelle la société sera dominée par la science. Les USA s’identifient à la science et aux techniques. Dans les années 1950/1960, il y a un dogme de la sécularisation chez les sociologues (référence à Nietzsche, Heidegger, Tocqueville). Il y a deux voies vers la modernité, l’esprit de religion ou l’esprit de liberté. Cependant, durant les 30 glorieuses aux USA, la religion a fleuri. Et les sociologiques font leur repentir aujourd’hui…

Jacques Dérida parle de l’affrontement de deux théories politiques, le fondamentalisme islamiste contre le fondamentalisme américain. L’Europe, quant à elle, est une société post religieuse au niveau politique. Les USA représentent une autre voie de la modernité, un changement entre deux blocs : l’un très religieux, l’autre très séculaire, une Amérique religieuse de l’intérieur avec ses clochers, une autre des restaurants thaïs et des amis français (référence à Montesquieu).

L’opinion publique américaine pense qu’on doit respecter et reconnaître la religion et l’importance de la foi. Il y a un mélange entre sécularisation et religiosité. Ce mouvement n’est pas sectaire, il englobe toutes les fois. On dit qu’il y aurait une alliance entre le Président, ses collaborateurs et les juifs pratiquants contre les non pratiquants. Cette laïcité est légale. Les États-Unis ne soutiennent aucune église. D’ailleurs, les Américains pensent que ‘la religion sert mieux quand elle est indépendante de l’État’. Le slogan ‘In God we trust’ n’a pas beaucoup d’importance pour le citoyen moyen. Cette laïcité est culturelle. George Bush se sert de termes religieux. Le vrai débat est dans le domaine culturel à propos de l’usage qu’on fait de la religion dans la politique au sein de la société moderne.

 

Débat : Le serment aux États-Unis n’est pas obligatoire. C’est symbolique.

Jean Baubérot : L’intolérance est un jugement de valeurs. Il faut distinguer l’analyse et la position de son choix. Dans la commission Stasi, je me suis abstenu sur le projet de loi sur les signes ostensibles. Aujourd’hui, c’est le degré de multiculturalité de la société française qui est en question face à l’universalité abstraite de la république. La Constitution de 1958 garantit le respect des croyances.

 

Ilan Greilsammer, professeur de science politique à l’Université de Bar-Ilan (Israël), explique que les Juifs vivaient en communauté religieuse jusqu’à l’émancipation (sauf quelques cas comme Spinoza) de la révolution française, là ils sortent des ‘ghettos’.  Se pose alors pour eux la question du choix d’une identité. Sera-t-elle religieuse ?

En fait, la réponse sera très variée : socialiste, révolutionnaire, laïque, libérale (Hertzel, Blum, Einstein) et aussi une explosion du judaïsme au XIXème siècle.  Au XXème siècle et jusqu’à la Shoah, les juifs sont de toutes ‘identités’, certains se sont assimilés jusque dans leur nom et leur conversion bien que l’hostilité veut les en empêcher.

Après la Seconde guerre mondiale, c’est la création de l’État d’Israël. David Ben Gourion qui est un laïc fonde Israël et veut en faire un État non pas de juifs mais des juifs avec leurs identités totalement différentes (hétérogénéité). Tout le monde doit pouvoir coexister en Israël En 1947, il envoie une lettre aux rabbins ultra-orthodoxes et leur propose quatre concessions « éternelles » : Ils géreront complètement l’état civil, le sabbat sera jour férié, la loi casher sera respectée dans toutes les institutions de l’État, enfin, chaque courant religieux est maître de son réseau d’éducation.

Cette ‘photo’ de 1947 a gelé les choses en Israël. A Tel-Aviv ou les transports en commun circulaient avant 1947, les transports en commun circulent toujours, à Jérusalem où les transports en commun ne circulaient pas avant 1947, ils ne circulent toujours pas aujourd’hui.

La lettre du statu quo est toujours en vigueur. Il n’y a pas de séparation, le « sacré » en Israël est une promesse « éternelle ».

Cependant, la Cour suprême de l’Etat d’Israël tente d’être un régulateur. D’autant que la ‘photo’ de 1947 n’est plus celle de 2005 : Israël est peuplé à 80% de juifs et à 20 % de palestiniens israéliens. Une enquête rapporte que 40% des Israéliens sont laïcs mais culturellement juifs (circoncision, Pessah, …). 35% se disent attachés à la tradition religieuse surtout les juifs d’origine arabe de France (le matin synagogue, l’après-midi football). 20% sont pratiquants orthodoxes, 5% sont ultra-orthodoxes, les « hommes en noir ».

Le changement est provoqué par l’immigration massive de juifs arabes (Yémen, Irak, Maroc), l’évolution de la démographie (les laïcs font peu d’enfants, un ou deux à l’occidentale, les religieux ont une démographie galopante), le système politique israélien est favorable aux partis religieux (la proportionnelle intégrale donne 20 députés religieux sur 120). Ce système oblige les politiques à créer des coalitions avec les religieux. Du coup, le statu quo est maintenu et parfois même les religieux arrivent à le grignoter sur d’autres sujets. Ainsi, El Al est la seule compagnie aérienne du monde à ne pas voler le jour du sabbat (férié), la viande de porc est interdite à la vente au public, le système d’éducation a glissé de l’autonomie à l’indépendance totale. Depuis 57 ans, on voit ce renforcement de l’emprise du religieux. Mais cela provoque aussi le réveil des laïcs.

Un nouveau parti politique « Le Changement » a été créé. Il veut devenir le parti d’appoint dans les coalitions à la place des partis religieux (un million de juifs sont arrivés d’ex URSS). Mais pour l’instant, on ne peut que constater l’échec des laïcs devant le fait que les deux grands partis ne sont pas prêts à laisser tomber les partis ultra-orthodoxes. En effet, les partis ultra-orthodoxes se vendent aux plus offrants sur la question des territoires (Gaza).

Combien de temps les 40% d’Israéliens laïcs vont-ils encore supporter cette situation ? Aussi longtemps que la guerre durera avec les Arabes, tout le reste sera au second plan.                                                             

 

Ali Vahit Turhan, professeur de science politique à l’Université de Marmara (Turquie), décrit l’Islam comme un fleuve en mouvement. L’Islam turc a composé très tôt avec la modernité. En 2002, la Turquie a élu un gouvernement issu d’une mouvance islamique, un gouvernement « musulman démocrate ». L’Islam est-il compatible avec la démocratie ? Il existe un débat en France à propos de la Turquie, inventaire des manques, arguments culturalistes et politiques, rareté de la laïcité en terre d’islam. Cela appauvrit le débat.

Le mot français « laïcité » n’est pas un mot facile à traduire en turc. Les pères fondateurs turcs ont inventé le mot « lik » à partir du français. Depuis plus de 80 ans, la Turquie est entrée dans un processus de laïcisation. En 1937, la laïcité a été inscrite dans la Constitution. La laïcité française a été interprétée dans le contexte culturel turc avec le refus de signes et de pratiques religieuses dans l’espace public. Un  lien est fait avec le nationalisme turc et l’Islam des confréries est considéré comme une menace pour la nation. L’esprit d’unification turc est national et non religieux. Mustafa Kemal a voulu s’élever au-dessus du niveau de la civilisation contemporaine par une révolution culturelle spectaculaire, une intentionnalité constituante, une métamorphose civilisationnelle (condition des femmes, abandon de l’alphabet arabe pour l’alphabet latin, adoption du dimanche comme jour férié au lieu du vendredi). Le réformisme voulait la modernisation en référence aux standards de son époque (les hommes remplacent le fez par le chapeau). Les mesures ont été brutales, l’option radicale.

Aujourd’hui, les islamistes ne sont pas si fondamentalistes et les modernistes ne sont pas si peu religieux.

La laïcité officielle s’exprime dans la société civile en deux pôles : le premier autoritaire (idéologie kémaliste sacralisée / laïcisme), le second réaliste (épuisement du laïcisme). Le respect de la liberté de conscience et de religion est affirmé parallèlement à la consolidation de la démocratie. Les laïcs turcs sont blessés par le débat français sur la Turquie.

 

Débat : En Israël, le mariage mixte (juifs/non juifs) n’est possible qu’au consulat de Chypre à Jérusalem.

En Turquie, le cours d’histoire des religions a été remplacé par le cours d’Éducation civique.

 

Kathy Rousselet, chargée de recherches au CNRS (CERI), explique qu’en Russie la laïcité est écrite dans l’article 14 de la Constitution de 1993 (sur le modèle français). L’article 2 pose la liberté de pratiquer, de confesser librement sa foi. Il y a là un souci d’affichage de la démocratie. La loi de 1990 précise que toutes les religions (de plus de 10 adeptes) sont égales.

Cependant, en 1997, du fait du lobbyisme de l’Église orthodoxe, a été rajouté ‘le rôle particulier’ de l’Église orthodoxe. On fait d’une part une distinction entre le christianisme et les autres religions et d’autre part entre les religions ayant plus de 50 ans d’existence en Russie et donc considérées comme ‘russes’ et les autres. On assiste à un rapprochement entre l’État et l’Église orthodoxe. Des lois anti-missionnaires sont promulguées dans les territoires. On commence à relever le nom, l’âge et l’adresse de certains membres d’organisations religieuses. Un discours est élaboré parlant de sécurité de l’État, d’identité nationale russe en lien avec la tradition de l’Église orthodoxe. L’héritage soviétique athée renaît alors même que les Russes disent appliquer les normes internationales. Vladimir Poutine applique une verticalité du pouvoir.

1) L’Église orthodoxe utilise la laïcité pour influencer le pouvoir selon le credo « foi, patrie, défense de notre terre ». Le peuple russe est orthodoxe à 60% et il n’y a pas de place pour l’autre.

2) On oscille entre tradition et sécularisation, entre laïcité et religions ‘traditionnelles’ prioritaires alors même que des mouvements baptistes, évangéliques veulent se faire officiellement inscrire dans les territoires. On dit craindre le fanatisme. On dispense une éducation religieuse dans les écoles, à l’armée, chez les médecins.

Par exemple, les Témoins de Jéhovah sont interdits en mars 2004 sous prétexte qu’ils refusent la transfusion sanguine. Un diacre orthodoxe s’en inquiète car il voit là à terme une menace possible pour la religion orthodoxe elle-même (voir document en langue russe).

3) La laïcité est mise au service de la sécurité intérieure du pays dans le but de favoriser un pouvoir fort. En 1996, le ministère de l’Intérieur parle de ‘sectes étrangères indésirables’ comme dans les anciens textes soviétiques. Vladimir Poutine renforce encore l’État en été 2000 par le biais de l’Éducation nationale et en 2002 par la loi fédérale. Le 17 février 2005, il crée la « Commission pour la sécurité spirituelle » qui provoque une islamophobie et une chasse aux sorcières. En outre, une « Commission de contrôle religieux » noyautée par l’Église orthodoxe voit le jour. C’est un organe unique qui rappelle le « Comité aux affaires religieuses soviétiques ».

Aujourd’hui, c’est le flou. Au niveau de l’État, les relations églises/État sont informelles. Dans les régions, on assiste parfois à la disparition de la laïcité.

Max-Jean Zins, directeur de recherches au CNRS, parle d’hindouisme et laïcisme en Inde. En Inde, la constitution parle d’un Etat « secular » (anglais) faisant preuve d’une égale bienveillance pour toutes les religions. Le code civil prend en charge le mariage, les questions d’héritage, les codes religieux (hindou, musulman) le reste, le tout régulé par la jurisprudence de la Cour suprême. Le système des castes est toujours en vigueur dans la société mais les discriminations sur cette base sont interdites par la loi. En 1947, le Pakistan est fondé sur la défense des musulmans.

 

Débat :  Question de Philippe Barbey pour Kathy Rousselet : « Anatoli Krassikov, expert du Centre de recherches socioreligieuses de l’Institut de l’Europe se montre inquiet quand il déclare : « Si l’on arrive à transformer l’orthodoxie en idéologie, ce sera un retour au totalitarisme. » Est-ce que vous pensez que l’Union Européenne peut influer un tant soit peu sur la liberté de religion en Russie ? Vous avez parlé des Témoins de Jéhovah, je crois qu’ils ont fait appel de leur interdiction sur le territoire de Moscou auprès du Conseil de l’Europe, qu’en sera-t-il à votre avis ?

Réponse de Kathy Rousselet : « Depuis 1993 avec la guerre en Tchétchénie, les intellectuels se taisent. Il y aura certainement une influence de l’Union Européenne dans les pays baltes qui en font désormais partie. Les orthodoxes sont entrés maintenant dans l’Europe et leurs discours peuvent évoluer. Mais, pour ce qui concerne la Russie, l’Europe a peu de chances de faire avancer les choses. En Russie, les accords entre l’État et l’Église orthodoxe se font sentir jusque dans l’école et dans l’armée. »

 

Gilles Kepel, professeur de science politique à l’IEP de Paris commente la situation dans différents pays musulmans. En Iran, la révolution iranienne islamique a provoqué la chute du Shah. Pour canaliser l’effervescence religieuse, les oulémas veulent faire de la médiation. L’Égypte s’oppose aux frères musulmans et a créé de fait une martyrologie. En Malaisie et au Pakistan, le gouvernement s’est allié avec la mouvance islamiste. En France, le CFCM et l’UOIF proche des frères musulmans ont perdu leur contrôle social dans l’affaire de la loi sur le voile. Les Etats répriment certains mouvements musulmans et en cooptent d’autres.

 

Jorge Precht, professeur de droit public à l’Université pontificale de Santiago du Chili, décrit la situation en Amérique du sud. Il n’existe pas de laïcité dans les constitutions. Le nombre de catholiques régressent : 80% en 1994, 71% en 2004. Alors qu’en 20 ans, les catholiques ont baissé de 9%, les églises pentecôtistes ont progressé de 10%. Les États ont garanti la liberté de culte, le mariage civil, le divorce, l’enregistrement des organisations religieuses. Dans beaucoup de constitutions, l’Église catholique est citée.

Au Mexique, la laïcité recule. Beaucoup de signes montrent que l’Eglise catholique est progressivement favorisée. En Uruguay, la laïcité s’affaiblit. Lors de sa prise de pouvoir, le président a assisté au Te Deum. Le gouvernement veut ériger un monument pour le pape Jean-Paul II à Montevideo. En Équateur, depuis 1996, l’éducation officielle est laïque mais l’enseignement de la religion est permis par décision de la Cour suprême. Au Chili, le pays n’a jamais été laïc ni l’éducation. La séparation s’est faite curieusement, elle a été imposée par l’épiscopat chilien en 1925 (droit public).

Deux remarques : les noyaux intégristes catholiques soutiennent les militaires, le catholicisme intégral prône une laïcité à l’Espagnole.  Certains groupes américains sont considérés comme une menace pour l’Église. Jean-Paul II a écrit « Ecclesia in America ».  l’Église mexicaine envoie des missionnaires formés au séminaire français de Rome pour prêcher aux latinos des États-Unis.

 

Daniel Bourmaud, professeur de science politique à l’Université de Pau, présente l’Afrique comme un continent complexe. Il n’y a pas d’homogénéité religieuse. Le Sahel n’est pas l’Afrique du sud. L’Afrique subsaharienne compte 50 États. Au nord, c’est l’Islam, au sud, c’est l’animisme et le christianisme. On constate une hétérogénéité en Éthiopie, en Érythrée, en Afrique centrale. La laïcité en Afrique est récente, on ne trouve pratiquement rien sur ce sujet dans les bibliothèques.

1) Avec l’indépendance acquise dans les années 1990, les régimes autoritaires montrent une laïcité mimétique, calquée sur le modèle occidental. Les constitutions des pays de l’Afrique francophone sont une copie de la Constitution française de 1958. On constate une forte influence du modèle républicain laïc français (SFIO, franc-maçonnerie, syndicalisme). Par exemple, Omar Bongo, président du Gabon est franc-maçon. Les religions sont instrumentalisées : écoles missionnaires (paternalisme chrétien), confréries musulmanes, sociétés secrètes animistes.

L’Afrique anglophone adopte une posture de liberté religieuse.

2) Avec l’épuisement du modèle autoritaire, le ‘dérèglement’ s’installe : démocratisation, religieux ‘social’, phénomène des sectes. Le nouveau constitutionnalisme africain se veut un pacte laïc.  Le religieux envahit la politique en trois modèles:

- le modèle participatif des années 1990 : ONG, Droits de l’Homme, défense de la personne, Etat de droit, pré-démocratie chrétienne à l’Africaine ;

- le modèle opportuniste utilise la religion en politique, hommes politiques issus des confréries (exemples : Sénégal, Zambie) ;

-  le modèle conquérant impérial, la religion veut avoir le contrôle, nouvelle évangélisation (exemple : Madagascar (théocratie), Nigeria (Chariah), Soudan, Sénégal).

Il y a plus de questions que de réponses. C’est la démarche chaotique de l’Afrique vers la modernité.

 

Débat final :  Gilles Kepel pense qu’aujourd’hui en France c’est une laïcité d’intégration qui s’installe.

 

Remarques sur le colloque Les religions face à la laïcité, Science Po Rennes, mai 2005

Nombreuses personnes présentes dans l’Amphithéâtre / France 3  présente toute la matinée du samedi / excellent contact avec Émile POULAT, propose de présider mon jury de thèse de doctorat / très bonne discussion avec Kathy ROUSSELET, offert mon livre, a rencontré les Témoins de Jéhovah à Saint-Pétersbourg dans leur « très beau centre » / retrouvé un certain nombre de chercheurs croisés auparavant (AFSR, IRESCO, CNRS, EPHE).