BITTER WINTER - Une revue pour la liberté religieuse et les droits humains

Dimanche 21 mars 2021

Les Témoins de Jéhovah condamnés à une amende pour leur "ostracisme" :

une mauvaise décision

Par Massimo INTROVIGNE - Article 1 sur 4 03/17/2021

https://bitterwinter.org/jehovahs-witnesses-fined-in-ghent-for-their-ostracism-a-wrong-decision/

 

Contrairement aux rumeurs propagées par leurs opposants, les Témoins ne suggèrent pas que les membres de la famille immédiate évitent leurs proches parents qui ont quitté la foi.

 

Bitter Winter a suivi le procès de la Cour criminelle belge de Gand durant lequel La Congrégation Chrétienne des Témoins de Jéhovah avait été mise en accusation à cause de sa pratique de distanciation envers ses ex-membres excommuniés. Certains d'entre eux s'étaient plaints que cette pratique équivalait à de la discrimination et à de l'incitation à la haine. La Cour de Gand s'est rangée du côté des plaignants et a condamné les Témoins de Jéhovah à payer une amende.

 

Cette décision de première instance est sujette à appel, mais nous pensons qu'elle est extrêmement dangereuse pour la liberté religieuse. Elle met en évidence la tendance des tribunaux à s’immiscer dans l’organisation interne des congrégations religieuses, ce qui est interdit par la Convention européenne des droits de l’homme. Comme l’a expliqué la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Sindicatul (2013), « L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme [qui protège la liberté de religion et de croyance] doit être interprété à la lumière de l’article 11, qui protège les associations contre toute ingérence injustifiée de l’État. »

 

La décision de la Cour de Gand pose deux problèmes. Le premier est un problème de fait, le second est un problème juridique. Nous discuterons dans ce premier article de la question du fait, tandis qu'un deuxième article sera consacré aux questions juridiques posées.

 

S'il est exact de dire que les Témoins de Jéhovah croient que la Bible suggère que leurs membres ne doivent pas s'associer avec d'ex-membres excommuniés ou qui ont abandonnés l'assemblée, ils font une exception pour les membres de la famille immédiate, comme ils l'expliquent dans nombre de leurs textes officiels.

 

Dans une FAQ publiée en 2020, nous lisons : « Qu’en est-il d’un homme qui est séparé mais dont la femme et les enfants sont toujours des Témoins de Jéhovah ? Les liens religieux qu’il entretenait avec sa famille changent, mais les liens de sang demeurent. » Dans le livre de 2008 « Gardez-vous dans l’Amour de Dieu », nous lisons (p. 208) : « Puisque l'excommunication ne rompt pas les liens familiaux, les activités familiales et les contacts qui sont du ressort de la vie quotidienne normale pourront donc peut-être se poursuivre. Toutefois, par son comportement, le pécheur a fait le choix de rompre le lien spirituel qui l'unissait à sa famille croyante. Les membres fidèles de la famille ne peuvent donc plus avoir de relations d'ordre spirituel avec lui. Par exemple, lorsque la famille se réunit pour étudier la Bible, l'excommunié ne pourra pas participer s'il est présent."

 

Le 15 avril 1991 (p. 22), La Tour de Garde déclarait que « si un foyer chrétien abrite un exclu, celui-ci continuera à prendre normalement part aux activités quotidiennes de la maison. »

 

Cette position n'est pas récente. Le 1er août 1974, La Tour de Garde (p. 693) expliquait déjà : « Étant donné que les liens du sang et les liens conjugaux ne sont pas dissous par une exclusion prononcée par la congrégation, la situation au sein de la famille exige une considération spéciale. Une femme dont le mari est exclu n’est pas dégagée de l'obligation biblique de le respecter, car il a autorité sur elle. Seuls la mort ou un divorce pour des motifs bibliques la dégageraient de cette obligation (Rom. 7:1-3; Marc 10:11, 12). Pareillement, bien que sa femme ait dû être exclue, un mari ne doit pas pour autant cesser d'aimer celle qui ne forme qu'une « une seule chair » avec lui (Mt. 19, 5.6; Ep. 5, 28-31). »

 

Dans son numéro du 15 décembre 1981, La Tour de Garde répétait (p. 26) que « si c'est le père, la mère, un fils ou une fille qui a été exclu ou qui s'est retiré volontairement, les liens du sang demeurent. Cependant, il n'y aura plus aucune « relation spirituelle » avec elle ou lui.

 

La Tour de Garde du 15 avril 1988 (p. 28) affirmait de nouveau qu' « il se peut qu'un homme qui est exclu, ou qui se retire volontairement de la congrégation, continue à vivre chez lui avec sa femme chrétienne et ses enfants fidèles. Leur respect des jugements de Dieu et de la mesure prise par la congrégation amèneront cette chrétienne et ses enfants à reconnaître qu'à cause de sa conduite le mari et père a mis fin au lien spirituel qui les unissait. Cependant, puisque son exclusion ne rompt pas les liens conjugaux ou familiaux, ils continueront à mener une vie familiale normale et à se témoigner une affection mutuelle. »

 

En théorie, on peut discuter de savoir si une entité religieuse devrait avoir le droit de suggérer que des parents devraient mettre une distanciation avec un membre de leur famille qui s'est retourné contre leur religion. Après tout, les ex-conjoints et les enfants refusent souvent de voir l’autre ex-conjoint après un divorce, et aucune loi ne les oblige à se comporter différemment. Mais, quelle que soit la réponse théorique à cette question, avant de discuter de la pratique du soi-disant « ostracisme » parmi les Témoins de Jéhovah, il est important de noter que, contrairement aux informations inexactes diffusées par leurs opposants, les proches ne font pas concernés par celle-ci.