10 / 08 / 2017

Notice bibliographique

Étienne OLLION, Raison d’État, Histoire de la lutte contre les sectes en France

Paris, La Découverte, 2017, 271 p. (bibliographie)

ISBN : 978-2-7071-5897-0

 

Philippe BARBEY

 

Référence électronique

Philippe BARBEY, « Raison d’État, Histoire de la lutte contre les sectes en France », Archives de Focus sociologique de sciences sociales des religions [En ligne], 10 août 2017, mis en ligne le 14 août 2017. URL : https://barbey.jimdofree.com/chercheurs-occasionnels/etienne-ollion-2017/

© Archives de Focus sociologique

 

OLLION (Étienne).

Raison d’État. Histoire de la lutte contre les sectes en France. Paris, La Découverte, 2017,

271 p. (bibliographie).

 

Cet ouvrage est une thèse de sociologie politique soutenue en 2012 sous le titre Les sectes mises en causes : sociologie politique de la "lutte contre les sectes" en France (1970-2010) à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est cependant publié en 2017 et manque singulièrement d'actualisation.

 

La première partie a le mérite de synthétiser le déroulement de la lutte contre "les sectes" en France. Elle suit un ordre chronologique, depuis le tout début dans les années 1950 jusqu'au battage sur le sujet dans le milieu des années 1990. La lutte est d'abord menée par l'Eglise catholique qui ne supporte pas la concurrence de nouveaux groupes religieux sur le territoire français qu’elle considère comme son monopole (Max Weber). Puis, des associations de catholiques pratiquants, issus de milieux aisés, et dont certains enfants ont rejoint ces groupes, se créent et se structurent (ADFI). Mais, cette question ne touche que quelques centaines de personnes sur l'ensemble de la population française.

 

Le tournant se situerait à la fin de l'année 1995. En décembre, les médias font les gros titres sur le massacre des membres de l'Ordre du Temple solaire dans le Vercors. Par un concours de circonstances, le mois suivant, le rapport parlementaire Les sectes en France (10/01/1996) est publié. La caisse de résonance médiatique est en place. Alors que la question des sectes n'intéressait personne jusque là et que des députés qui, par opportunité politique, avaient formés une commission d'enquête sur le sujet l'avaient fait, de leur propre aveux, parce qu'ils 'n'avaient pas grand chose à faire à l'Assemblée nationale', la lutte contre les sectes devient soudainement une raison d’État. Mais, le nombre de personnes concernées est toujours beaucoup trop faible, quelques milliers tout au plus, pour que la question soit prise au sérieux. Les députés incluent alors dans leur rapport les Témoins de Jéhovah qui comptent déjà à l'époque plus de 130 000 fidèles qui ne font pas parler d'eux. A ce stade, l'ouvrage pourrait mieux s'intituler Histoire de la lutte contre les Témoins de Jéhovah en France. La lutte contre "les sectes", sous l'obédience de l’État qui crée des instances dédiées (Observatoire, Mission interministérielle) est légitimée et devient cause nationale. L’État français centralisé a décrété la norme de la pensée, y compris dans le domaine de la pensée religieuse (Bourdieu). Les Témoins de Jéhovah en sont les boucs émissaires et sont stigmatisés, disqualifiés en tant que groupe religieux pour être ravalés au rang de secte. A l'inverse, jusque dans le milieu des années 2000, les antisectes bénéficient de la reconnaissance d'utilité publique assortie de fortes promotions, y compris financières sous la forme de subventions très substantielles.

 

Dans la seconde partie, l'auteur nous donne à lire une analyse politique comparative, plutôt aride et peu éclairante sur le sujet, avec une longue digression sur le métier de 'plaideur' à Bruxelles. La France est mise en cause dans un rapport sur la liberté religieuse du Département d’État des États-Unis (septembre 1999). L'ONU, l'OSCE sont interpellées sur cette question par des représentants d'ONG (CAP-LC, Human Rights Without Frontiers). La situation de la France est difficilement tenable. L’État préfère alors laisser le "sale boulot" aux associations antisectes (UNADFI) qu'il finance massivement et dont la survie serait compromise sans ce soutien.

 

Alors que l'auteur a forcément dû utiliser les Témoins de Jéhovah comme analyseur social, il escamote la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme en 2011 dans le cas des Témoins de Jéhovah, qui sont à cette occasion réhabilités en tant qu'entité religieuse qui obtiendra d'ailleurs par la suite tous les avantages octroyés aux religions en France. Ce point est pourtant déterminant comme l'auteur l'avait précisé dans sa première partie : sans l'apport chiffré de ce groupe, la lutte de l’État contre "les sectes" n'aurait certainement jamais vu le jour. D'ailleurs, d'après l'auteur, la lutte contre les sectes en France n'est plus aujourd'hui qu'un "marronnier" journalistique.